mardi 12 mai 2009

Conversation avec Cécile De France et Guillaume Malandrin


En plein milieu du Festival de Cannes sort un obscur film belge, Où est la main de l'homme sans tête, de Guillaume et Stéphane Malandrin. Quant à son histoire, autant s'accrocher, au risque de la perdre (la tête, pour ceux qui n'ont pas suivi).
Cécile De France joue Eva, une championne de plongeon, coachée par son père qui ne vit qu'au travers de ses exploits. Seulement Eva a un accident lors d'une compétition et tombe dans le coma. A son réveil... Les ennuis commencent ! Son frère a disparu, elle a des visions, un chat meurt dans un lit, un manchot la poursuit et son père devient de plus en plus agressif...
Les réalisateurs essayent d'instaurer un climat à la fois glauque et onirique, tout en flirtant avec le psychanalytique... Et je dois avouer avoir eu beaucoup de mal à les suivre dans leur ambition, car malgré toute la bonne volonté d'une Cécile De France investie, le film se perd dans des bavardages interminables et souffre d'une direction artistique maladroite (l'église-musé de Bruxelles, c'est à voir !). Au final, après 1h45 de quête d'homme sans tête, on arrive à ce constat, cruel mais hélas bien réel : tout ça pour ça ! Avec cette sensation de ne pas avoir tout compris, mais en étant incertain sur le fait qu'il y est autre chose à comprendre...

Mais pour ne pas rester sur un constat amer, j'ai rencontré Cécile de France et Guillaume Malandrin (Stéphane n'ayant pas trouvé d'avion pour rentrer de ses vacances marocaines, dixit son frère), afin qu'ils aient la possibilité de nous éclairer sur leur démarche.

C'était bien : Cécile, quelle a été votre première réaction à la lecture du scénario de ce film, à l'univers pas tout à fait comme les autres ?
Cécile De France : Je l'ai lu comme un bon bouquin, un bon thriller, avec en même temps ce drame familial et psychologique ainsi que cette part de fantastique aussi. J'ai découvert un scénario palpitant, stressant qui m'a vraiment tenu en haleine jusqu'à la dernière page. Et quand j'ai fermé cette dernière page, j'ai tout de suite appelé Guillaume Malandrin pour lui dire oui. C'était en 2001, donc il y a longtemps.

Le personnage d'Eva travaille en famille, dans un contexte assez tendu si on peut dire. Vous Guillaume, vous avez réalisé ce film avec votre frère, Stéphane, est-ce que vos relations sont moins compliqué chez vous ?
Guillaume Malandrin : Oui, nous on travaille en famille et... Ca se passe mieux, je rassure tout le monde, on n'a pas de problème avec nos parents. Par contre je pense que le sujet de la famille c'est un sujet inépuisable pour le cinéma et pour tous les genres. On a toujours été un petit obsédé par la question familiale dans nos films. Donc c'était naturellement notre sujet de prédilection pour ce thriller-fantastique, aux limites du film dramatique...

Quelles étaient vos intentions de départ sur ce film ?
GM : On avait différentes ambitions. Moi j'avais une ambition formelle, je voulais faire un film d'une extrême tension narrative où le spectateur était pris à la gorge et transporté dans une espèce de voyage à la fois onirique et de suspens. La maîtrise de la tension était un des projets du film. Après au niveau narratif, on avait des ambitions assez complexe à expliquer, car il y a différents niveau de lecture que cela soit d'un point de vu psychanalytique ou sur les rapports humains, par exemple sur l'amour des parents pour leurs enfants. Une des choses dont le film parle c'est "qu'est-ce que ça veut dire d'aimer", si à un moment donné l'amour que l'on a pour quelqu'un n'est pas destructeur. Car on a toujours l'impression que ce qu'on donne, c'est positif. Le père d'Eva, joué par Ulrich Tukur, c'est un ogre, qui aime et qui détruit, sans le vouloir.

Cécile, vous choisissez des rôles très différents. D'Isabelle de l'Auberge Espagnole à cette Eva, en passant par la Marion de Quand j'étais chanteur, ce sont des femmes très éloignées. Comment abordez-vous ces rôles ?
CDF : Je fais beaucoup confiance aux réalisateurs, là c'est un univers original et un peu à part, j'en ai pas lu beaucoup des scénarios comme ça. Ils savait vraiment ce qu'ils voulaient et c'est très agréable de se laisser guider, en étant au service de cet univers là. On a beaucoup discuté et répété avec les autres comédiens. Il y avait de la préparation, puisque le personnage est championne de plongeon, de haut niveau. Donc j'ai beaucoup observé Odile Arboles-Souchon qui est championne de France de plongeon. C'était très intéressant dans la gestuelle, la façon de se positionner au bord du vide, comment placer ses mains, regarder son coach... Donc il y avait tout une préparation physique intéressante, qui me permet d'appréhender et d'apprivoiser mon personnage.

Cécile disait tout à l'heure avoir reçu le scénario en 2001, pouvez vous nous raconter le parcours que vous avez du suivre pour monter ce film ?
GM : On a mis beaucoup de temps à le financer, d'abord parce qu'on a mis du temps à trouver un co-producteur en France. Parce que le film est déroutant, c'est un cinéma qui mélange les genres et qui prends aussi le risque d'aller dans une zone un peu interdite au cinéma qui est celle de l'incompréhensible. Les films sont aujourd'hui trop balisés, tout est bien raconté pour que tout le monde comprenne, même ceux qui n'ont pas vu le début du film... Alors que nous on a pris le risque de ne pas faire la différence entre les scènes au présent et au passé pour les scènes de flash-back, il n'y a pas d'effet visuel. Il n'y a pas de différences entre les rêves, les fantasmes et la réalité et même aller dans des zones où en fin de compte les choses n'ont pas nécessairement un sens défini. Et ça c'est difficile à financer, ce qui est normal aussi. Entre temps Cécile a fait d'autres films, moi aussi, personne ne s'est arrêté de vivre. Ca a mis du temps, on l'a fait au moment où on a pu réunir l'argent, notre disponibilité pour le faire ensemble...
CDF : ... Avec plaisir !

Le hasard du calendrier fait que vous sortez simultanément deux films belges (Soeur Sourire et Où est la main...). On parle de plus en plus de ce cinéma là en France. Peut-on parler d'un nouvel essor chez vous ?
GM : En France, vous voulez toujours mettre une étiquette, en disant "il y a un nouvel essor, un nouvelle vague, un renouveau belge..." Alors qu'en fait, il y a toujours eu des cinéastes qui travaillent dans le même pays, bon c'est tout petit la Belgique, c'est un département, c'est comme si on disait "la Creuse qui fait du cinéma" et en fin de compte ces gens ils ont tous leur univers particulier, leur identité propre. Ils se connaissent mais ils ne se marchent pas dessus. Chacun fait son chemin.
CDF : On a souvent besoin de la France pour arriver à monter les films, donc tous les films qui peuvent se réaliser, sont fait avec sincérité, c'est en accord avec leur désir, donc il y a quelque chose de fort et de sincère. Ce n'est pas gratuit quoi. Donc le point commun c'est le désir sincère et l'originalité, oui.

Et vous sentez sur les plateaux cette différence entre les tournages français et belges ?
CDF : Oui, car il n'y a pas de star-system, nous les acteurs un peu connu on n'est pas très protégé, c'est pas ça le plus important et c'est bien, car ça laisse place à la créativité. 
GM : Il y a cette blague de Poelvoorde qui raconte la différence entre un tournage français et belge. Sur un tournage français, s'il y a une voiture qui gène le cadre, le premier assistant va le dire au deuxième assistant, qui le dira au troisième, qui lui même dira à la régie de bouger la voiture. Alors qu'en Belgique, s'il y a une voiture qui gène... Et bien on la déplace !

Où est la main de l'homme sans tête, un film de Guillaume et Stéphane Malandrin, sortie en salle le 20 mai 2009.

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