
Cet homme et cette femme sont les auteurs d'un véritable "papillon cinématographique", The pleasure of being robbed.
Une jeune femme se ballade dans les rues de New-York, badine et discute avec les gens. En toute simplicité. Elle les vole aussi, accessoirement. Mais ce n'est pas un vol intéressé, plutôt de la curiosité, l'envie de découvrir l'intimité de l'autre.
Filmé caméra à l'épaule, avec une volonté de cinéma vérité. Un incroyable vent de liberté souffle sur ce film. La caméra bouge beaucoup, perd le point et donne un côté très bordélique à l'ensemble. Mais c'est ce qui nous rend intime avec lui. Josh Safdie a une approche très touchante de cette histoire, il rend la caméra humaine, tellement humaine que l'on sent tout l'amour qu'il a pour son actrice, Eleonore Hendricks. Sa durée est courte, on peut s'y ennuyer, mais c'est un ennuie qui restera confortable, car ce film a de la grâce.
Rencontre parisienne avec ces deux jeunes gens, en compagnie de Gautier, fidèle acolyte de l'émission Extérieur Nuit. Ils arrivent en retard à notre rendez-vous, mais parviennent vite à nous le faire oublier grâce à leur bonne humeur communicative. Entretien réalisé dans le désordre général, mais dans la convivialité, à l'image de leur film.
Comment est né le personnage que joue Eleonore ?
Josh Safdie : je venais de rencontrer Eleonore...
Eleonore Hendricks : ... On travaillait ensemble...
JS : ... Sur un autre film.
EH : Je faisais des castings dans la rue pour des films.
JS : Quand elle travaillait dans la rue, elle était comme son personnage. Elle rencontrait des étrangers, les prenait en photo. Elle établissait des relations grâce à ces photos. L'idée est que ce personnage soit capable d'aborder des étrangers. C'est une voleuse, une très belle voleuse. Le soir quand ses "sujets" rentrent chez eux, ils peuvent dire à leur famille ou à leurs amis : "aujourd'hui quelqu'un m'a parlé dans la rue, elle a été agréable avec moi".
Son personnage vis au jour le jour, comme cet homme qu'elle croise dans la rue au début du film et qui dit à tout le monde "hello beautiful, good-morning handsome"... Ils vivent l'instant présent.
Dans les grandes villes, les gens marchent toujours d'un point A à un point B. Pour aller au travail, à l'école, faire du shopping... Contrairement à cette fille qui semble considérer la ville comme un immense terrain de jeu.
EH : Dans les villes on est constamment bombardé par des sensations. Alors si tu n'as pas d'objectif précis dans la journée, tu peux t'ouvrir aux choses que tu croises sur ton chemin, à l'aventure.
JS : C'est une belle anarchie. C'est tout et rien à la fois. Ce mode de vie peut te rendre heureux et malheureux en même temps. Si tu ne vas pas bien et que tu as juste envie de te distraire avec ce qui peut paraître insignifiant dans la vie, ça peut devenir beau ou triste.
Mais c'est intéressant cette idée de Point A / Point B. Chez cette fille, il n'y a pas de point, elle est juste un point X.
Quand on voit votre film et l'impression de liberté qui s'en dégage, on imagine une équipe technique très légère...
EH : Oh toute petite !
Comment vous organisiez vous ?
JS et EH en coeur et en nous désignant tous les quatre : Voici l'équipe ! Son - Caméra - Acteur !!
JS : Je crois en cette idée que moins tu as de moyens et plus tu deviens créatif ! On pourrait comparer notre manière de faire des films, à celle des graffitis. On cachait notre caméra 16 mm. devant le Métropolitan Opéra ou à l'intérieur du Zoo. On nous demandait 600 dollars pour tourner dans le zoo. On a dit : "Ok, c'est pas grave". Et on y est allé quand même, la caméra dans le sac et mon ami qui s'occupait du son faisait semblant d'écouter un Ipod.
EH : Tout le monde à ce moment là devenait un acteur, car on devait être sur nos garde et paraître anonyme.
JS : J'aime l'idée de pouvoir être libre. La caméra c'est comme ton oeil. Tu dois pouvoir bouger avec.
Et pourquoi alors ne pas avoir utilisé une caméra numérique ?
JS : Je me sers d'une petite caméra numérique pour observer dans la rue, prendre des notes. Mais pour les films, je pense qu'il est important de prendre des risques. Contrairement au numérique, où tu peux regarder ce que tu viens de filmer et dire "Allez, on va recommencer", la pellicule implique des risques, il y a de l'argent en jeu. Tu dois avoir une confiance totale en la situation, la pellicule c'est quelque chose de physique, que tu peux détruire en ouvrant le chargeur. Cette idée que tout peut disparaître en quelques secondes... Je trouve ça très beau.
En voyant votre film, on ne peut s'empêcher de penser à la Nouvelle Vague française. Quelles sont vos influences ?
JS : La Nouvelle Vague est une de mes grandes inspirations. L'idée qui se dégage derrière ce mouvement est la simplicité. Si tu regardes leur scénario, ils sont très basique. Ils croient en la réalité, à ce que ça amène. J'aime leur façon de travailler entre ami, de manière collective.
Pour mon film, la principale source d'inspiration a été Mouchette de Robert Bresson. La façon dont le personnage est constamment torturé par lui même et par ce qui l'entoure. Elle ne sait pas pourquoi elle agit, mais elle fait les choses.
L'autre influence pour moi, c'est Boudu de Jean Renoir. Il y a cette scène où Michel Simon, qui joue un vagabond, se promène sur un port et se jette à l'eau. La scène est filmé de très loin, on est en 1932, les gens ne savent pas que l'on tourne un film et ils ont couru pour aller le sauver !
Votre nouveau film, Go get some Rosemary fait partit de la sélection Cannoise, à la Quinzaine des Réalisateurs, pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?
JS : Oui bien sur. Je l'ai réalisé avec mon frère Bennie. C'est inspiré par beaucoup d'émotion que nous avons vécues ensemble, lorsque nous étions plus jeunes.
C'est à propos d'un père qui voit ses enfants tous les six mois pendant deux semaines, mais quand ces deux semaines arrivent, six mois se sont écoulés et ils l'ont oublié.
C'est un homme irresponsable qui regarde la vie comme une blague. C'est sa seule manière de communiquer avec les gens. Donc il est tout le temps entrain de rigoler, mais à force, cela en devient triste. Le film se déroule au moment où tout fou le camps dans sa vie.
Eleonore joue dans le film, Roney (Ronald Bronstein, réalisateur de Frownland ) est le père... Je dois avoir des images a vous montrer sur l'ordinateur...
Il bondit sur son ordinateur et c'est ainsi que l'entretien se termine, comme il avait commencé. En musique, en image et dans le désordre.
Les propos ont été recueillis et traduit par nos soins.
The Pleasure Of Being Robbed, un film de Joshua Safdie, en salle depuis le 29 avril 2009.