Josh arrive avec 30 minutes de retard, je patiente donc avec Benny et l'attachée de presse. Il arrive finalement et avec une bonne excuse, il sort de la projection du dernier film de Luc Moulet. Ils ont en effet la particularité de ne vouloir rater aucun film de la sélection. Ce qui est rare à Cannes, les équipes n'effectuent généralement qu'un bref séjour sur la croisette. Pas eux, "ce sont nos vacances" se justifie Josh.
C'était bien : Vous présentez cette année un film dans le même esprit que The Pleasure of Being Robbed, à ceci près qu'il parait plus écrit, avec une narration plus développé. Il est d'ailleurs plus long de trente minutes. Pourquoi ?
Josh Safdie : The Pleasure of Being Robbed était plus organique, comme un morceau de jazz. Le projet n'avait pas la même forme. Cette fois-ci, Benny et moi, on a essayé de comprendre la complexité de la relation entre un père et ses enfants. Donc on a senti le besoin de plus écrire.
Benny Safdie : C'est un peu comme vouloir raconter un mensonge, tu essayes de donner le plus de détails possible pour être plus crédible. Et parfois, quand on buttait sur quelque chose, on avait la possibilité de s'appuyer sur ce qu'on avait écrit.
Vous aimez travailler en improvisant. Mais cette fois-ci il y a deux enfants dans le casting. Comment s'est passé le tournage ?
Josh Safdie : C'est très difficile, car l'improvisation signifie que les acteurs doivent s'adapter en permanence à la situation. Et avec les enfants tu dois tout le temps gérer leur énergie.
Benny Safdie : En même temps, on ne voulait pas que les enfants nous regardent nous, mais leur père (joué par Ronald Bronstein, NDLR). Donc on a beaucoup travaillé avec Ronnie avant le tournage pour qu'ils s'habituent à lui, c'était lui qui les dirigeait.
Le fait que la caméra soit en mouvement, comme si c'était quelqu'un qui marche, car on ne fixe jamais la caméra sur un trépied, ils savent qu'ils peuvent bouger dans toute la pièce sans nous géner, car on pourra les suivre. On est tout le temps avec eux.
Sur The Pleasure Of Being Robbed Josh était le seul réalisateur, cette fois-ci vous étes deux. Comment vous partagez-vous le travail ?
JS : J'étais le chef opérateur la moitié du tournage, pendant que lui s'occupait du son. Puis on alterne, entre le son et l'image. On discute constamment, on observe nos réactions. Par contre lorsqu'on écrit on n'arrête pas de se disputer, car on est très critique l'un envers l'autre. Mais on essaye de faire ça avec humour.
On est similaire, mais avec des contradictions. On retrouve ça dans le film. Notre passion commune est dans le film. Et c'est pourquoi nous avions besoin de faire ce film ensemble.
Il est intéressant de voir que l'on retrouve certains personnages d'un film à l'autre...
JS : Ils sont dans le court-métrage de Benny aussi !
On a l'impression qu'ils continuent à vivre après que le film se termine...
JS : C'est important pour nous que ces personnages continuent à vivre, car ils sont une caricature de notre esprit. C'est comme une grande expression globale.
BS : On ne peut pas tout explorer avec un seul film, donc cela a du sens de les retrouver à chaque fois...
Un autre détail intéressant à voir dans vos films, c'est l'utilisation de la voiture. On sent qu'aux Etats-Unis la voiture est synonyme de grande routes, de folles échappés et de liberté... Comme vos films.
JS : C'est de la pure liberté, car c'est le début du temps qu'il va passer avec ses enfants. Et pour l'équipe c'est important la voiture, car tu es constamment dans le mouvement, tu n'as pas le choix. On a d'ailleurs mis les acteurs en danger, car le conducteur devait à la fois jouer et conduire la voiture. On a failli mourir trois fois !
Pour ce père, c'est la vraie liberté. C'est le seul endroit où il peut embarquer ses enfants, il veut leur faire vivre une aventure.
BS : C'est amusant, car pour cette séquence, il y a 5 personnes dans la voiture et on a choisit la plus petite voiture qui soit ! Les acteurs devaient se baisser pour que l'on puisse filmer !
J'ai quelque chose à vous montrer... (je sors la dernière édition des Cahiers du cinéma qui comporte plusieurs articles élogieux à leur égard).
JS : Oh oui, j'ai acheté une copie ! (Il le prend et le feuillette, NDLR) Regarde ça, Alain Resnais... Jean-Luc Godard ! C'est fou ! J'ai un exemplaire des années 1960 de ce magazine, c'est... Oh regardez Stéphane Delorme est là ! (le journaliste des Cahiers du cinéma et membre du comité de sélection de La Quinzaine passe à côté, NDLR) Stéphane ! Il nous montre les Cahiers du Cinéma ! (Rires, NDLR). C'est la première personne que j'ai rencontré ici et il est la raison pour laquelle on fait partie de la famille de la Quinzaine.
Cette page est complètement folle, lisez la page 26 ! (en s'adressant au magnétophone, NDLR)
Oui, deux pages sur votre film, c'est fou ! Et regardez l'article du début, sur l'esprit de la Nouvelle Vague aujourd'hui, "c'est l'énergie et la sensibilité des frères Safdie".
JS : Oh mon dieu ! C'est incroyable ! Ces films nous ont inspirés... Ils on réussi à synchroniser le style et l'appréhension du monde réel...
BS : Il y a certaines choses que tu ne peux capter qu'avec un style particulier. Mais les émotions viennent en premier et la manière de les capter viennent après.
JS : Le style est dans les détails, c'est ce que j'ai appris des films de la Nouvelle-Vague... C'est fou ! Complètement fou !
Vous faîtes parti de la famille maintenant !
Les propos ont été recueillis et traduis par mes soins.