Dix ans après le César du meilleur premier film pour Voyages, Emmanuel Finkiel revient sur les écrans avec Nulle part terre promise. Un patchwork d'être humain qui sonne juste, où l'on voit des hommes et des femmes traverser l'Europe d'Est en Ouest ou d'Ouest en Est, pour différentes raisons. Si ce film parvient à nous toucher, c'est parce que tous les personnages sont filmés avec le même regard. Qu'ils soient des immigrés fuyant leur pays clandestinement ou un cadre devant mettre en oeuvre une délocalisation, ils sont a égalité. Ils ont tous un manque, une peine qui les empêche d'être heureux. Comment se préoccuper des misères du monde quand on est soi-même malheureux ? Telle est la question qui se pose en filigrane de ce film.
Après Voyages et le César qu'il vous a valu, vous êtes resté presque dix ans sans revenir au cinéma. Pour quelle raison ?
D'abord, ce n'est pas tout à fait vrai, mais dans le fond vous avez raison. Ce n'est pas tout à fait vrai car j'ai réalisé un téléfilm, un documentaire et puis après j'ai écrit, soit un lourd projet qui ne s'est jamais réalisé, soit en collaborant avec des amis sur leur propre film.
Mais de fait, qu'est-ce que je peux vous dire ? Oui, les choses de la vie. D'abord je n'avais pas très envie de tourner pour tourner. J'avais besoin de rencontrer un sujet qui me transporte. Et puis voilà, après j'ai fait ce que je n'ai pas eu le temps de faire avant. Car étant jeune, j'ai tout de suite commencé à travailler sur des plateaux de cinéma en tant que stagiaire ou assistant, je n'ai pas fréquenté la fac longtemps. Donc là j'ai pu lire, de la philo, tout seul dans mon coin. J'ai vécu, j'ai morflé. Comme tout le monde. J'ai perdu mon père et je me suis marié. Alors voilà, la plupart des réalisateurs font pleins de films dans leur vie, moi j'ai eu pleins de vie avant d'en faire un deuxième si je veux faire une formule.
Vous avez tourné ce film en numérique, avec une caméra HD. Un choix tourné vers l'avenir...
Cette caméra numérique a la particularité d'être extrêmement précise et performante. Donc qui vous permet de faire la fiction en vous dédouanant de ce que j'appelle "le cinéma dans le cinéma". Tout le matériel électrique, de machinerie et le personnel qui va avec.
Évidemment, ça dépend de l'écriture qu'on choisit. Il y en a qui nécessite une équipe lourde, moi j'ai pensé une écriture différente où l'idée était d'influer le moins possible sur la réalité que saisissait la caméra. Et pour ça je trouvais illogique que l'on soit plus nombreux derrière que devant la caméra.
J'avais besoin de camions pour mettre en scène la délocalisation. Ça aurait été un non sens d'avoir trois camions techniques derrière moi et pas le pognon pour m'offrir un seul camion que verraient les gens sur l'écran.
Vous ne craignez pas de vous faire des ennemis, en assumant le fait de vous passer d'un certain nombre de techniciens du cinéma ?
Une équipe, c'est fait pour aider un film. Tout le monde le dit et moi-même, lorsque j'étais assistant je le disais aussi. Mais à partir du moment où vous êtes dans une écriture, une équipe pourrait entraver le tournage. Vous savez, il y a des fois où j'ai lancé la caméra avant de faire la bulle, qui permet que la caméra soit droite. Car entre temps, s'il y avait une image à chopper il fallait qu'elle se fasse chopper. Il y a cette jolie phrase de Godard qui disait en vannant "si le cinéma français était présent le jour de la mort de Kennedy on aurait jamais eu d'images".
Il faut pouvoir donner l'impression en l'état que cela se déroule sur l'écran selon les mêmes règles physiques, spatio-temporelles que dans la vie. Moi c'est comme ça que l'émotion me vient quand je suis spectateur.
Vous disiez tout à l'heure avoir besoin d'être transporté par un sujet pour le filmer. Comment celui-ci est-il venu jusqu'à vous ?
Un petit peu par hasard. C'est à dire que d'abord on m'a proposé de faire un court-métrage dans un film à sketches, de réalisateurs européens. Donc j'ai commencé à écrire l'histoire de ces clandestins, un père et un fils, qui voyage dans un camion, puis à pied et qui inexorablement vont vers l'Ouest pour gagner l'Angleterre. Puis en travaillant là-dessus, je me suis dit qu'il aurait été intéressant d'élargir la chose, plutôt que de scénariser le parcours, choix qu'a fait Lioret pour Welcome, ou que l'on fait habituellement dans un cinéma moins... tordu ! J'ai voulu mettre en perspective deux autres trajets, qui, en tressant ces trois histoires révélaient une affreuse ironie historique.
On se rend compte assez vite que tous ces personnages que ce soit ce jeune cadre qui suit les machines qui délocalisent ou ces kurdes ou cette étudiante, ils ont tous comme point commun d'être enveloppé d'une grande solitude. Il y a juste des fois le regard qui les sauve, ils peuvent se voir, mais on se rend compte qu'ils peuvent pas, pour l'instant, grand chose les uns pour les autres.

De part le cadre commun de vos histoires et la proximité de la sortie de vos films, vous allez irrémédiablement être comparé au Welcome de Phillipe Lioret, l'avez-vous vu ?
Non je ne l'ai pas vu, car je me garde bien de tout jugement. Qu'on les compare bien évidemment, ça n'arrête pas ! Là mon film apparaît comme un autre film sur la clandestinité, ce que je n'ai pas vécu comme tel.
Il y a des fois où je me suis amusé un peu, car j'arrivais dans des salles de province, aspergés d'affiches de Welcome et je cherche la mienne avec mon briquet à côté des chiottes. Et souvent je repensais à mon grand père qui était dans le commerce des vêtements et quand il est arrivé à Paris pour la première fois, il était très impressionné par les Galeries Lafayette, alors il disait "si tu peux pas être les Galeries Lafayette met toi à côté" et il avait une autre blague qui était "tu te mets à côté des Galeries Lafayette et sur ta porte tu mets "entrée principale". Donc j'ai eu tendance, des fois, à la salle 12 où passait mon film, de mettre "Welcome- entrée principale".
Au-delà de ça finalement, c'est assez significatif que quelque soit la manière dont les gens font leur film, il y a une problématique qui porte de la réalité vers la fiction. On capte les choses qui nous proviennent, comme des éponges, et puis à un moment donné il y a une nécessité de faire le retour et de l'exprimer sous le prisme de ce qu'on ressent.
On peut trouver des liens entre Voyages et Nulle part terre promise, dans les thèmes de l'exode, de l'éloignement géographique, affectif...
C'est vrai qu'il y a un rapport entre l'exil physique et un exil plus existentiel. C'est à dire que finalement les personnages ont comme point commun d'avoir un même manque qui entrave leur façon d'être au présent. Puisque je me suis toujours entêté à ne filmer que des cellules de présent. Il y a cette solitude qui enveloppe les personnages du à un certain sentiment existentiel de délaissement, comme se sentir un peu en exil de soi-même. Comme dans "Nulle part..." ce cadre, on sent à un moment qu'il y a une distorsion entre le rôle qu'il joue dans la société et sa personne plus profonde, auquel on n'a pas accès car les gens sont des énigmes. Mais on sent quand même qu'il y a un conflit, disons, entre ce qu'il doit être et ce qu'il semble être. Vous voyez ce que je veux dire ?
Oui oui...
Bon ben c'est pas intello, c'est des constatations qu'on fait chaque jour quand on va chercher le pain à la boulangerie. Vous aussi. Sauf qu'on ne se le formule pas...
Vous faites parti des réalisateurs qui, avant de passer à l'acte, ont été assistant. Vous avez côtoyé des noms très prestigieux ( Godard, Tavernier, Kieslowski), qu'est-ce qu'ils vous ont appris ?
C'est pas évident de répondre à ça, car quand on est assistant on est dans le turbin, on a une tache très précise. Mais oui, ils m'ont appris énormément. Mais je dois dire aussi que j'ai appris aussi énormément auprès de réalisateurs plus modeste, voir de réalisateurs pas très bon.
J'ai beaucoup appris avec Godard, en travaillant sur un seul film, qui est vraiment un maître absolu.
Effectivement, j'avoue que sans doute ça a conditionné des choix de stratégies de fabrication. Ça a été un choc pour moi. J'ai aussi beaucoup travaillé avec Christian de Chalonge qui m'a apprit énormément... énormément.
Kieslowski ?
Oui Kieslowski, avec qui j'ai fait les "Trois couleurs". C'est une personnalité très forte qui vous nourrit d'un regard. C'est pour ça que c'est difficile après à raconter. Vous savez c'est ce genre d'apprentissage qui rentre en vous et ce n'est pas rentré théoriquement en vous par des mots, vous ne savez même pas. Vous avez des postures qui vous reviennent. J'ai encore très précisément des attitudes de son visage, des réactions face à telle ou telle situation sur le terrain et ce sont finalement quand on tourne... C'est ça la réalité d'un tournage, ce n'est pas ce qu'il y a après, qui est du domaine de l'analyse. Tous les mots qu'on dit là, à propos du film, n'existe pas pendant la fabrication. Le tournage c'est de la mécanique. C'est comme le langage de la farine, c'est différent du langage du gâteaux, si je puis dire. Il y a d'un côté la conception (la farine, les oeufs..) et de l'autre le truc fini.
Mais évidemment, c'est les merveilleux côtés de l'assistanat que d'avoir parfois le pot, d'être au contact de gens qui vraiment décollent du sol. Ça vous irradie.
Nulle part terre promise, un film de Emmanuel Finkiel, en salle depuis le 1er avril 2009.
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